L’Effort des hommes

 

Il est des œuvres dont le discours, à la force évocatrice et symbolique, transcendent les époques : Moby Dick est manifestement l'une d'entre elles. Avec L'Effort des hommes, Jean-Gabriel Périot s'empare de ce monument littéraire pour en faire une œuvre contemporaine qui gravite autour des violences policières.
Le film s'ouvre sur le calme de l'océan, toile neutre où l'Homme jette sa toute-puissance vengeresse et destructrice. Dès lors, la voix de Denis Lavant s'impose, déclamant le texte d'Herman Melville, tandis que le corps de l'acteur domine le cadre en tant que figure titanesque : il est à la fois le narrateur, le chasseur et le Léviathan. De Marker (Vive la baleine, 1972) à Ramos (Capitaine Achab, 2004), le film cite ouvertement de nombreuses œuvres et navigue constamment entre fiction et documentaire. Des images de chasses et de cadavres de cétacés, tantôt réelles, tantôt tirées de fictions, nous renvoient immanquablement aux images médiatiques de bavures et autres violences perpétrées par les forces de l'ordre ; ces deux registres d'images issus respectivement du copwatching ou du reportage sont explicitement mis on parallèle. De ce fait, la mer se métamorphose en un espace d'expression de la violence humaine : « Tout ce calme singulier semblait devoir être le prélude à quelques scènes violentes et fatales. » Ici se joue un perpétuel combat entre l'Homme et sa destinée, et le fatalisme qui en découle.
À la première partie qui prend la forme d'une revisite archiviste cinématographique du conte melvillien succède un second récit autour de jeunes manifestant-e-s au temps des Gilets Jaunes. Simon Guélat incarne alors un Achab contemporain (référence évidente à l'acronyme ACAB : All Cops Are Bastards), prêt à combattre et terrasser la créature étatique, qui ne s'exprime qu'à travers l'institution policière. L'Effort des hommes fascine par son discours à double tranchant : le-a manifestant-e est-iel bourreau ou victime ? Est-iel Moby Dick ou Achab ? Dans la manifestation, iel devient victime de cette violence continuellement perpétrée par l'État. Finalement, iel n'est qu'un cadavre d'animal de plus qui a dérivé en mer avant de venir s'échouer sur la plage.

 

Étienne Commaux
Festival du film d’Amiens
Novembre 2022